J'avais déjà pu apprécier la qualté de son écriture, son style, la richesse de son vocabulaire et le tout emballé d'une orthographe parfaite.

Le ton de mon groupe était très manifestement tourné vers l'humour, y compris dans mes billets d'humeur... tout en se voulant professionnel.

E. et son humour ravageur eut tôt fait de lui donner un tout autre genre... et voila que sous l'impulsion de certains membres du site et qui publiaient pas mal d'inepties, E. se mit à écrire le premier épisode de ce qui devait devenir une saga à 4 mains !

Chacun à notre tour, nous écrivions un épisode et notre saga devint de plus en plus délirante !

A chaque fois que E. avait rédigé un nouvel épisode, il m'envoyait un SMS avec un seul mot : "Publié !"Je me précipitais alors sur le site car je savais que j'étais partie pour une énorme crise de fou-rire ! 

C'était alors à moi d'enchaîner et je me devais d'être à la hauteur... Bien que je ne disposais pas de sa grande érudition et sa très haute capacité à faire des jeux de mots toujours très fins et savoureux, je me faisais quasiment un devoir d'être la plus (im)pertinente possible et je m'amusais beaucoup.

Nos visiteurs se faisaient de plus en plus nombreux et nous amusions bien la galerie... Très vite, certains se sont doutés de ce qui se tramait entre nous car nous faisions de plus en plus d'allusions à notre vie. 

Lors de sa deuxième venue chez moi, le scénario fut à peu près le même que la précédente et j'avais "programmé" pas mal de choses à faire, à vivre, à voir... Il me parlait énormément de son association en création au Brésil et me disait qu'au plus tard dans deux ans, il allait s'installer là-bas, ce qui finissait par me chagriner : j'étais amoureuse d'un homme qui partait au bout du monde d'ici deux ans... Je finis par lui en parler et sa réponse fut immédiate : "mais, tu viens avec moi, bien sûr..."

Bon, je n'avais jamais imaginé une seule seconde finir ma vie au Brésil mais bon... Il me paraissait évident de suivre l'homme que j'aimais. 

Dès lors, nos discussions s'enflammèrent de plus en plus par rapport à ce projet. Premier sujet de préoccupation : la langue ! 

Ni lui ni moi ne connaissions un traître mot de portugais brésilien mais lui avait quand même l'avantage de parler couramment anglais. J'avais donc pour mission après son départ, de trouver une solution pour apprendre la langue et lui aussi devait s'y mettre. Cela nous fit passer beaucoup de temps à en discuter chaque jour par téléphone. J'étais très excitée... 

... Et il m'avait convaincue que l'on n'avait plus d'avenir en Europe, moi étant au chômage à un âge avancé, cela n'était pas difficile de me rallier à ses idées. 

Et puis, en me regardant droit dans les yeux, il me dit : "est-ce que je peux parler de toi à mes enfants ?"

J'en fus bouleversée car je constatais à quel point il les vénérait. Vu le portrait qu'il m'en avait fait, je considérais quasiment sa proposition comme un honneur... J'en étais presque gênée.

Depuis deux ans que sa femme l'avait quitté pour un autre homme, il n'avait jamais connu d'autre femme. E. étant très exigeant, il lui fallait quelqu'un d'un peu "spécial", lui-même étant également très "spécial". Nous avions l'impression d'être des âmes-soeurs.

E. n'était pas du tout un coureur de jupons, ce que j'ai pu vérifier par la suite. Et puis, j'étais devenue son seul fantasme et les "cagoles" de Nice ne l'intéressaient pas du tout. Ses 22 années de mariage l'avaient dégoûté à jamais de cette "formalité". Se consacrant corps et âme à son projet brésilien, il savait parfaitement se déconnecter de ses émotions. 

Et puis, il avait ses enfants tous les week-ends et la moitié des vacances scolaires : ça faisait son véritable bonheur. 

Je visitais chaque jour son profil sur notre "fameux" site ainsi que sa page Facebook et j'en apprenais donc chaque jour un peu plus sur lui.

Une chose toutefois m'interpela : je constatais qu'il n'avait passé qu'une seule quinzaine de jours au Brésil, en tout et pour tout... alors qu'il en parlait comme s'il en connaissait tout. Ce détail me choqua un peu. 

Le reste du temps, il travaillait sur ce projet avec un ami à lui (ex-copain de Fac) via Skype. Cet ami passait souvent de longs mois au Brésil et de plus, il avait épousé une brésilienne (avocate). Lui, Niçois également, avait mis le cap sur le Brésil (car pays émergent) mais également pour expier quelques épisodes douloureux de sa vie : il avait fait la guerre en Afghanistan et avait tué des gens. Il ne s'en n'était jamais remis et subissait régulièrement des crises dépressives l'ayant mené jusqu'à en faire des tentatives de suicide.

J'étais un peu déçue car je me rendais compte qu'il "suivait" le mouvement de son ami sans réelle motivation de son côté, si ce n'est de miser sur les possibilités notamment financières d'un pays en plein essor... 

En dehors de ce projet, E. était responsable des achats d'une entreprise située en Croatie et dont il était salarié, ce qui lui assurait son unique source de revenus. Il s'y était rendu de nombreuses fois mais là encore, il travaillait de chez lui. Vive Skype et Internet !

Il "grenouillait" également pour une boîte en Slovénie... En fait, je ne savais pas réellement ce qu'il faisait. Mais bon, il parvenait chaque soir, lors de nos interminables discussions téléphoniques à me rassurer : il avait l'air tellement sûr de lui... Un peu "exotique" pour moi mais après tout, ça me sortait de mon ordinaire. A vrai dire, il me fascinait malgré le fait que certains soirs, après avoir raccroché le téléphone, avant de m'endormir, une petite voix intérieure me susurrait : "ce n'est pas un homme pour toi".

Mais, je ne voulais pas l'entendre et je reportais mes doutes sur moi, en me disant que je n'étais pas à la hauteur d'un tel homme. Je me sentais très inférieure à lui.

Je m'endormais là-dessus et dès l'heure du petit-déjeuner le lendemain matin, nos premiers échanges reprenaient... 

Sa deuxième visite chez moi se termina le 4 mai où je le raccompagnais à son train. Je me souviens qu'il m'ait dit : "tu n'as pas l'air triste de me voir partir"... Et c'est vrai que je ne l'étais pas vraiment. Il y avait des points de détails qui me gênaient un peu et puis, pour avoir vécu un très grand A, c'était comme si "je n'accrochais pas vraiment". J'étais amoureuse, certes, mais je ne pouvais pas non plus dire que je l'aimais vraiment. Ce début d'amour à distance entre Paris et Nice ne permettant pas de nourrir suffisamment ce tout nouveau "couple".

Une quinzaine de jours plus tard, c'était sa fête et je lui ai fait livrer un bouquet de fleurs accompagné d'un petit nounours comme lien transitionnel entre nous. Sa fête tombant un dimanche, il découvrit ce bouquet alors qu'il était avec ses enfants.

Il fut donc bien "obligé" de leur avouer que "ça y était, il avait enfin rencontré une femme". D'après E., ses enfants étaient fous de joie... Sa fille de 18 ans à l'époque lui ayant soi-disant dit : "Papa, tu t'es assez occupé de nous. Il est temps pour toi que tu fasses ta vie". J'avais trouvé ça très joli. 

E. a juste commis une petite erreur en me disant : "bah, c'est bien tombé car comme ça, je n'ai pas eu besoin de leur parler de toi, grâce à tes fleurs, ça s'est fait tout seul".

J'avais assez mal vécu cette maladresse car depuis sa visite, il ne leur avait toujours rien dit. Je prenais ça pour une petite lâcheté de sa part. 

Ils étaient donc si exceptionnels que ça, ses enfants ? Un nouveau complexe émergeait en moi.